Attention, chef d’œuvre. Et attention : titre étrange. Le nom français de l’ouvrage de Marcus Buckingham est tout aussi décalé du contenu que l’anglais : manager contre vents et marées. L’ouvrage ne parle ni de vents ni de marées ! Pas plus qu’il ne conseille de briser toutes les règles. Encore une pépite cachée derrière un titre qui la dessert.

Qu’est-ce qui fait de cet ouvrage un classique ? Il est simple, clair, asséné avec force et à la limite du politiquement correct. Loin des principes bien-pensants d’un management sur lequel nous serions tous d’accord en théorie, l’auteur livre l’ouvrage fondateur de ce qui est aujourd’hui l’institution Gallup, le centre de formation qui édite le Clifton strengthfinder test.

Quel contenu si brillant allons-nous trouver ?

  • La définition d’un talent et comment il diffère d’un savoir ou d’une compétence
  • Les douze points qui garantissent l’engagement des collaborateurs
  • Les cinq règles de la satisfaction client (si si)
  • Les huit lois des meilleurs managers qui vont à l’encontre des courants bien-pensants

Cela vous intéresse ? Lisez-la suite ! Cette liste ne vous impressionne pas ? Faite moi confiance cinq minutes et… lisez la suite !

La définition d’un talent

Au sens de Gallup, un talent (ou « force » dans le Strengthfinder test) est un chemin de pensée récurrent que vous faites bien et appréciez faire dans la durée. C’est une autoroute mentale : quelque chose que votre cerveau est entraîné à faire et qui est une seconde nature pour vous. C’est très difficile à apprendre et très difficile à changer. C’est en fait la manière dont vous êtes « câblé ».

Par exemple, je suis un curateur. J’aime trouver du contenu de qualité, le synthétiser et le diffuser. Je l’ai toujours fait. Je peux trouver des exemples de ce comportement même pendant mon adolescence. Je suis un initiateur : je lance des projets. J’en lance beaucoup et j’en lance très vite. Je peux trouver de très nombreux exemples qui remontent jusqu’à ma petite enfance. Je suis aussi un connecteur : j’aime mettre les gens en relation. Je pourrais faire cela toute la journée pendant des années sans m’ennuyer. Enfin, je suis un structureur : j’aime résoudre des problèmes compliqués. Je décompose très rapidement n’importe quel sujet complexe en petits morceaux organisés et plus facilement réalisables.

A l’inverse, il y a une liste immense de talents que nombre de personnes ont et que je n’ai pas. Pour prendre un premier exemple, chercher la perfection du geste et répéter une même action parfaitement me met hors de moi. C’est pour cela que des centaines d’heures de piano me permettent à peine de jouer à Lettre à Elise ou que j’aurais été un pâtissier mauvais et malheureux. Je suis incapable de suivre une recette à la lettre ou de faire deux fois la même chose.

Second exemple : ceux qui me connaissent savent que j’ai une capacité d’empathie limitée. Je suis humain, j’ai des sentiments et je comprends très bien le concept. Mais venez m’expliquer un souci… au bout de cinq minutes, je structure votre problème et je tente de le résoudre en vous connectant avec quelqu’un et si possible je vous suggère une lecture curatée. Je suis parfaitement conscient que ce n’est en général pas la réaction attendue. Et d’ailleurs, des efforts immenses depuis des années m’ont permettent de contrôler à peu près cette réaction, de même que je peux à peu près suivre une partition au piano. Mais comme dit le scorpion à la tortue qu’il a piquée au milieu de la rivière : c’est ma nature.

Nicolas Caron, le co-fondateur du cabinet Halifax et auteur de nombreux livres sur l’art de vendre, m’a confié que la lecture de First, break all the rules a changé sa vie. C’est ce qui l’a convaincu de devenir conférencier à temps plein. Il est aujourd’hui le plus heureux des hommes ! Et vous, quels sont vos talents ? Jouez-vous sur vos forces ? Ou mettez-vous des montagnes d’efforts à être qui vous n’êtes pas ?

Bref, revenons au livre : les talents sont vos autoroutes neuronales. Ils ne s’apprennent pas. Ou alors avec une difficulté extrême et à coup d’hypnose et de reprogrammation mentale. Et encore, ce n’est pas sûr… Ils sont donc tout à fait différents des compétences ou des savoirs qui eux peuvent s’apprendre. La question n’est pas de savoir si je peux ou si je sais faire un gâteau au chocolat. La question est : est-ce que j’aimerais en faire cent de suite en affinant progressivement mon art jusqu’à atteindre le gâteau parfait ? J’ai des amis qui diraient oui, moi clairement pas.

Si vous ne connaissez pas vos talents, c’est normal. D’une part, ils vous semblent naturels. Le poisson n’est pas conscient de nager dans l’eau. Pour lui c’est normal. Et d’autre part, notre éducation ne nous a pas habitués à identifier et reconnaître nos forces. En tout cas pas comme Gallup les définit.

Comment les connaître ? C’est facile et pas cher ! Achetez pour quelques euros le petit guide Strengthfinder de Gallup. Il existe dans toutes les langues et vient avec un code pour un rapide test en ligne. C’est passionnant. Et rassurez-vous : tout le monde ressort du test avec cinq des trente-quatre talents disponibles. Il n’y a que des gagnants !

Les 12 points qui garantissent la satisfaction des collaborateurs

L’auteur partage les 12 questions corrélées à l’engagement professionnel selon Gallup. Elles ont été identifiées après des tests et entretiens avec plus de cent mille personnes. Elles sont éclairantes quant au rôle du manager. Optimiser ces douze points est une bonne base de départ si vous menez des équipes.

Les douze questions représentent les points qui permettent de faire la différence au-delà des basiques. C’est-à-dire qu’évidemment, on suppose que les employés interrogés sont payés décemment, que les locaux sont salubres, que les dirigeants ne les insultent pas à longueur de journée, etc.

Bref, une fois qu’on assure les basiques. Qu’est-ce qui fait la différence ?

  1. Est-ce que je sais ce qu’on attend de moi au travail ?
  2. Ai-je les bons éléments et le bon équipement pour réaliser mon travail ?
  3. Ai-je l’opportunité de faire chaque jour au travail ce que je fais de mieux ?
  4. Cette dernière semaine, ai-je été reconnu ou félicité pour mon travail ?
  5. Est-ce que mon responsable ou quelqu’un d’autre au travail semble s’intéresser à moi en tant que personne ?
  6. Y a-t-il quelqu’un au travail qui encourage mon développement personnel ?
  7. Au travail, est-ce que mon avis a l’air d’être pris en compte ?
  8. La mission de ma compagnie me donne-t-elle le sentiment que mon travail est important ?
  9. Mes collègues ont-ils à cœur de réaliser un travail de qualité ?
  10. Ai-je au travail quelqu’un que je considère comme un de mes meilleurs amis ?
  11. Pendant les six derniers mois, ai-je parlé à quelqu’un de mes progrès ?
  12. Au travail, ai-je des opportunités d’apprendre et de me développer ?

Les 5 points qui assurent la satisfaction des clients

L’auteur va au-delà de la satisfaction des collaborateurs pour s’intéresser à sa symétrique: les clients. Ses remarques quant à leur satisfaction sont moins innovantes, mais restent d’une rare clarté et simplicité. Que veulent vos clients ? Précision, disponibilité, partenariat, conseil… et la petite touche en plus !

Marcus Buckingham défend qu’il existe pour les clients une forme de pyramide de Maslow des besoins. Le premier paraît évident : notre client veut que cela fonctionne sans erreur. S’il y a des erreurs, le reste des dimensions cesse d’avoir une importance. Il faut d’abord être fiable.

Ensuite, il affirme que les clients veulent que nous soyons disponibles. Appelez cela répondre au téléphone, écouter, monter un chatbot ou avoir les réponses sur FAQ bien réalisée… tout ce que vous voudrez. Vos clients souhaitent pouvoir entrer en contact avec vous. Si vous les en empêchez, ils seront insatisfaits.

Ensuite, un client souhaite une forme de partenariat entre lui et vous. La traduction de l’anglais « partnership » est malaisée. Il s’agit d’être dans le même camp. Le client souhaite vous sentir comme « de son côté ». Si vous défendez votre chapelle ou si vous lui faites sentir que vous êtes de l’autre côté du miroir… il est insatisfait.

Enfin et seulement enfin : du conseil. La cliente attend de vous que vous soyez en capacité de lui recommander la marche à suivre et ce qui est le mieux pour elle. On comprend bien pourquoi les trois étapes précédentes sont des conditions pour arriver à ce quatrième niveau de la pyramide.

Quel est ce cinquième point qui constitue la petite touche en plus ? L’auteur affirme que c’est un comportement authentique et non scripté. Un script et des règles peuvent éviter l’insatisfaction, mais ils ne pourront jamais libérer l’inventivité et l’amour du travail bien fait qui poussent à aller un cran plus loin.

Prêt à assurer les bases pour aller jusqu’à libérer la magie humaine dont parle Hubert Joly dans son ouvrage The Heart of Business ? Pour les spécialistes de l’expérience client, les points précédents pourront paraître basique. C’est une base saine à rappeler cependant. La suite du contenu est moins conventionnelle.

Ce que font les bons managers (et qui peut surprendre)

Les bons managers font plein de choses bien. Le sujet du livre n’est pas de les lister. Vu d’avion, leur rôle est de sélectionner les bonnes personnes, définir les objectifs, motiver et développer les individus. Simple, non ?

Dit comme cela, c’est évidemment trop simple. Tout l’intérêt de l’ouvrage est de faire le tour de certains comportements qui vont à l’encontre de ce qui pourrait paraître du bon sens, mais qui est surtout de la suggestion bien-pensante, pour lister ce que font vraiment les meilleurs. Prêt à découvrir la liste ?

Ils recrutent sur les talents, pas les compétences. C’est moins évident qu’on ne le croirait. S’ils recrutent un pâtissier, ils se demandent si la personne aimera faire des gâteaux à longueur de temps pendant des années. Bien sûr, un diplôme de pâtissier est le bienvenu et son absence peut être disqualifiante. Mais pour choisir un excellent pâtissier, ils cherchent à savoir si la personne a un talent (i.e. biais mental) pour cela.

L’auteur suggère de dédier un entretien entier à la seule question des talents. Il s’agira d’y poser des questions très ouvertes et de laisser le candidat se raconter. On cherchera à obtenir des exemples précis et fréquents du comportement recherché. Des questions comme « qu’apprenez-vous rapidement ? » ou « quelles sont vos plus grandes sources de satisfaction personnelle ? » donnent de bons résultats.

Et dans un monde idéal, les excellents managers savent comment leurs meilleurs éléments dans leurs équipes répondent aux questions qu’ils posent. Cela peut sembler étrange ou prône à créer une armée de clones. Ce dernier point est plus intelligent qu’il n’y parait. Lisez le livre pour plus de détails sur le recrutement.

Ils connaissent les talents de leurs équipes et vont donc un cran au-delà du professionnel dans leurs relations. Ils leur ont fait passer des tests ; ils leur ont posé des questions quant à leurs objectifs professionnels et leurs objectifs de carrière. Ils leur ont demandé sous quelle forme ils apprécient qu’on leur fasse du feedback. Ils connaissent les préférences personnelles de chacun.

Ils ont des fiches plus ou moins formalisées sur l’ensemble de leur équipe et adaptent leur style en fonction des profils. Ces fiches leur permettent de garder en tête les différences de chacun. Ils vont donc un cran plus loin que la simple relation professionnelle et cherchent à connaître la personne derrière le masque du monde professionnel.

Cela peut vous paraître aller un cran trop loin. Si votre équipe est peu nombreuse, vous pouvez le faire de tête. Mais si votre mémoire est limitée ou votre équipe nombreuse. Pensez à vous équiper ou vous organiser.

Ils définissent ce à quoi le succès ressemble, pas ce qu’il faut faire pour l’atteindre. La plupart des managers cherchent à commander ou contrôler. C’est pour cela qu’ils répliquent autour d’eux leur manière de penser et donnent donc des instruction précises. Ils définissent aussi des procédures et des standards.

Une partie de ces procédures et de ces standards définissent un langage commun qui sert de base à la coopération et assurent une certaine fiabilité des processus. C’est très important et très utile pour assurer la sécurité de tous et l’efficacité de la communication. Cela devient contre-productif quand cela bride la créativité et le génie individuel.

Les excellents managers savent dire ce à quoi un travail bien réalisé doit ressembler. Ils définissent l’objectif et la mesure du succès plutôt que les actions pour y parvenir. C’est paradoxalement plus difficile et demande d’accepter que les travaux soient menés différemment de ce que nous aurions fait nous-même.

Ils passent la majorité de leur temps avec leurs meilleurs éléments, pas avec leurs moins bons. Il peut paraître tentant de laisser les bons éléments vivre leur vie en autonomie et de passer plus de temps avec les membres de son équipe qui paraissent avoir plus de difficulté à être performant. Cela paraît éthique et suit une ligne bien-pensante en apparence très défendable.

L’auteur s’inscrit en faux contre cela. C’est un des éléments politiquement incorrects du livre. Il affirme que le rôle du manager est d’atteindre des résultats. Et c’est en rendant ses meilleurs éléments encore meilleurs qu’on y arrive. Il affirme aussi qu’étudier l’excellence est un bien meilleur guide que d’étudier les erreurs ou la médiocrité.

L’auteur rappelle que l’excellence n’est pas le contraire de mal faire. C’est quelque chose de tout à fait différent qui va au-delà d’inverser les mauvaises pratiques. Il y a mille et une manière de mal faire ; et seulement quelques comportements exceptionnels. Préférez identifier ceux-là !

Ils cherchent à obtenir le meilleur de chacun de leur membre d’équipe, pas à les rendre parfait. Cela peut paraître une platitude, mais cela ne l’est pas. Ils refusent l’idée que tout le monde doit atteindre la même performance. Ils refusent aussi de tenter de changer les membres de leur équipe. Ils en tirent simplement le meilleur.

C’est sur ce point que l’ouvrage est à la limite du politiquement correct. Dans une attaque directe de Tony Robbins, l’auteur affirme tout le monde n’a pas un pouvoir illimité ou un immense géant à réveiller. Bon nombre de personnes a des talents qui ne leur permettront pas de suivre une carrière « up or out ».

Cette course aux échelons serait collectivement malsaine car les places sont limitées. L’auteur touche ici les parties plus politiquement incorrectes et les plus polémiques de l’ouvrage. Je ne suis pas d’accord avec tout, mais je comprends son point de vue.

Ils contournent les limites de leurs équipiers plutôt que de les corriger. Marcus rappelle que s’améliorer sur un de ses défauts est la manière la plus difficile de corriger le problème. Un outil est souvent plus adapté, un process peut tout changer et un partenariat avec quelqu’un d’autre peut avoir des effets puissants.

Chercher à être parfait en tous points est une gageure à la limite de l’impossible. Et les grands héros du monde du travail sont loin d’être des individus aguerris à toutes les compétences. Quand quelque chose n’est pas dans leur caractère, ils s’équipent, s’organisent ou s’entourent. N’est-ce pas plus simple que de tenter de se changer ?

Lisez les quelques pages du livre à ce sujet. C’est un point majeur.

Ils ont un plan de développement pour leurs équipes. Ils ont des discussions de feedback fréquentes, adaptées au style de leurs collaborateurs et tournées vers le futur. Et ils leur font passer des tests de personnalités et de style. Les sessions de feedback se focalisent notamment sur les opportunités d’être encore meilleurs sur nos forces.

Le plan de développement a pour objectif de renforcer les talents ou de trouver des solutions viables à ce qui pourrait être identifié comme un défaut. Il ne s’agit pas d’un plan de formation pour tenter d’inculquer de force quelque chose qui dans l’ensemble ne passe pas.

Ils définissent l’excellence pour tous les rôles, même les moins évidents. Ils créent des échelons, des métriques et des attendus précis même et surtout pour les métiers où on ne s’y attendrait pas. Nettoyeur de chambre d’hôtel ou étayeur d’arbre peut se décomposer en niveaux d’excellences. Ce sont des métiers bien plus subtils qu’il n’y paraît.

Les excellents managers créent des niveaux, définissent des métriques et montent des opportunités internes. Parce qu’ils ont avec eux des individus talentueux sur ce sujet. Et que donc par nature ils auront envie d’exceller, d’améliorer leur score et de partager les bonnes pratiques au sein d’une forme d’université interne.

L’auteur définit en fait ce qu’on appelle aujourd’hui la gamification. Encore faut-il d’abord avoir recruter des personnes qui ont envie de jouer au jeu !

Pour finir, citons un mantra du livre. C’est un de ces passages qui le rendent politiquement incorrect et donc intéressant :

People don’t change that much.

Don’t waste time trying to put in what was left out.

Try to draw out what was left in.

That is hard enough.

Pour plus d’informations, lisez le livre. C’est un “all time classic”. Il mérite clairement le tampon “Must read” de la selection Curatus.

Un grand merci à Emmanuel Grenier de l’avoir porté à mon attention. J’aurais pu l’ignorer longtemps sans son aide.